Mémoires d’une anosmie

Curieuse de nature et formée à l’éducation sensorielle, je vous partage ma réalité de cobaye ayant perdu temporairement l’odorat, sans doute à cause d’un virus assez célèbre en ce moment…

Ironie du sort, j’avais partagé le lundi mes connaissances et conseils sur l’anosmie en écoutant les souvenirs d’une personne qui a été atteinte l’année dernière. Mon intérêt était-il trop vif ? Voilà que le jeudi matin, je me rends compte que je suis temporairement anosmique !

Rien à l’horizon

Pourquoi j’ai voulu tester mon nez ce matin-là ? Une intuition bizarre sans doute, juste après m’être mouchée ou alors une sensation étrange de… rien, malgré mon nez enfin débouché ? Voilà une situation qui engendre plutôt un amusement chez moi puis une série d’explorations dans la semaine, je vous les relate un peu pèle-mêle…

olfaction ou sens de l'odorat en coupe
L’olfaction ou sens de l’odorat selon la Cité de la gastronomie

La page blanche de l’odorat

Rien au-dessus du flacon d’huile essentielle, rien non plus sur le pot de baume du tigre ouvert. C’est bizarre le zéro, on cherche toujours une faible sensation, mais là, rien ! Comme une grande page blanche, un peu sèche en plus, comme la sensation avant d’éternuer, pendant plusieurs jours… Un papier glacé, sur lequel on ne peut pas s’accrocher.

“On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va.”

attribué à Jacques Prévert.

Expérimentations alimentaires

Fin de première journée, mon mental pensait jeûner et le fait est que j’ai eu souvent faim ! Je grignote des flûtes au sésame, gressins salés et croustillants, mais qu’il n’ont plus du tout cet arôme précieux et délicat du sésame. Je remarque que je mange un peu par souvenir, en projetant ce que ça devrait faire, et que ça ne fait pas… Mais est-ce que je pourrai le faire longtemps ou alors les souvenirs d’arômes vont passer ? C’est comme si je souhaitais lutter contre une amnésie olfactive… Je note aussi que je mange finalement plus, sans doute car mon plaisir en mangeant n’est pas aussi grand d’attendu, ou qu’habituellement ! Les diététicien⋅ne⋅s et nutritionnistes parlent de cette sensorialité désinvesties, notamment si on mange face à l’écran, qui donne l’impression d’avoir eu peu de plaisir en bouche, et donne donc envie de manger encore…

Mes sensations en bouche notables :

  • le yaourt nature, qui garde son onctuosité et son acidité, sans son goût de lait ;
  • la roquette, le gingembre et l’ail confit, pour les sensations trigéminales ! C’est quand même bien moins fort qu’avant, mais bien agréable, comme une impression d’être encore en vie. Et oui, apparemment ça va juste là, pour moi : « je mange donc je vis », j’avais déjà touché du doigt ce caractère en stage… de jeûne !
  • le rougail mangue : mangue verte, oignon, piment, sel, poivre. Une super combinaison de saison de sensations trigéminales, mais aussi de la fraîcheur et du croquant. MIAM !

Deux flops :

  • Le letchi, sorte de truc froid et sucré en bouche… Aucun intérêt. J’ai ramassé des mangues et des fruits de la passion au verger… Je vais me faire une confiture pour quand tu seras revenu, odorat ! Tellement étrange de cuisiner et de tourner une confiture qui bout sans aucune information du nez !
  • J’ai laissé de la purée hors du frigo toute la journée… Mon compagnon sera-t-il d’accord de la renifler pour savoir si je peux encore la manger ?

Surprises sans odeurs

En jardinant j’ai mis le pied sur une dépouille de reptile. Si mon nez était fonctionnel, l’aurais-je repéré ? Pas sûre, néanmoins j’ai constaté une certaine appréhension à consommer des aliments un peu vieux et passés de date, ce que je fais en réalité très souvent d’habitude, ma vue et mon odorat me protégeant très bien des moisissures, pourritures et fermentations non recherchées. Sans odorat, je me sens moins sûre de moi, plus vulnérable à vrai dire.

Quelques avantages tout de même

  • C’est bien plus facile pour moi de mettre l’anti-moustique qui sent si fort l’eau de Cologne ! D’habitude, j’ai toujours l’impression de m’intoxiquer, et aujourd’hui j’en ai certainement mis beaucoup plus de la dose habituelle !
  • Je me suis essuyée à plein visage dans une serviette humide ce soir ! Il a plu trois déluges aujourd’hui, donc je suis sûre qu’elle pue. C’est une des sensations que je déteste habituellement le plus : une fois propre, me coller du moisi au visage, beurk ! Sans son odeur, l’humidité était supportable, un autre jour elle serait partie au linge sale direct ! Ça m’amuse de ne pas être importunée par une odeur sans doute présente : je vous laisse, je vais sortir les poubelles 😉 !

Rééducation possible de l’odorat

Après 3-4 jours, je commence à regarder sur internet des reportages et conseils. J’avais évité de le faire pour ne pas me connecter à cet immense imbroglio mondial de peur autour du covid, via un de ses symptômes. J’apprends avec horreur que cela dure entre 2 à 4 semaines, parfois plus.

Ah, non pas, possible, je veux profiter des bons repas de Noël et Nouvel An ! J’ai déjà renoncé à commander des huîtres, investissement bien trop risqué, sans nez.

Je trouve néanmoins des protocoles pour rééduquer son nez, faire « travailler » le bulbe olfactif et les nerfs peut-être endommagés. Je choisis 4 huiles essentielles à dominantes différentes et essaie de les sentir plusieurs fois par jour, au moins sur 3 grandes inspirations. Ce fut très bénéfique, et sans doute que mon nez n’était pas très affecté : j’ai retrouvé petit-à-petit les odeurs, de façon d’abord subtile puis à présent complètement sans doute, après seulement une semaine coupée d’un monde ! Ce monde olfactif m’est très cher, et j’y suis désormais encore plus attachée et reconnaissante envers mon nez.

Bienfaits des odeurs

En faisant cette rééducation, je me suis demandée notamment si la lavande continue à avoir sur moi un effet apaisant et anti-dépresseur, à l’insu de mon nez ! Depuis, j’ai appris que oui : des chercheurs ont regardé en IRM le cerveau de personnes lors d’une olfaction d’huile essentielle de lavande. Qu’ils soient anosmiques ou équipés d’un odorat fonctionnel, le cerveau est passé dans tous les cas en ondes alpha, la fréquence de la détente.

Ces propriétés des huiles essentielles sont de plus en plus connues et reconnues, je les utilise par exemple en cosmétique ou pour fabriquer une brume d’oreiller. Récemment, grâce à un super atelier d’Arnaud Lecomte, j’ai appris et fait l’expérience que l’information et l’aide d’une huile essentielle n’est pas que chimique, qu’elle est aussi vibratoire, agissant sur bien des plans, et avant même qu’elle soit débouchée. Je vous conseille vivement ses ateliers, ou une consultation, que votre odorat soit intact, ou affecté !

5 réflexions sur « Mémoires d’une anosmie »

  1. Génial !! Souvenir souvenir pour ma colocation d’amour Madame Moisi. Merci pour ton témoignage précieux, c’est si bien écrit, sensible et sensoriel, malgré l’absence d’un pan entier de notre sensorialité !

    1. Ah oui, ça doit pas être facile pour lui !
      Je me rends compte en faisant des ateliers sensoriels qu’une minorité invisible a des problèmes d’anosmie ou d’hypernosmie…
      Le covid a mis en relief l’anosmie et rend compte de ce handicap.
      Pas sûre hélas que les protocoles soient adaptés, mais je trouve au moins de nommer et citer une maladie permet une progression vers son traitement, ou au moins sa reconnaissance !

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