Petit à petit, ayant laissé passer la mode, je lis à propos de permaculture et je m’y suis formée en juillet-août avec Permakiltir Réunion.
Si vous avez 12 jours, courrez-y ! Si vous êtes encore dans le labeur de l’ancien monde, avec de l’argent mais sans temps, je vais essayer de vous en parler dans les mois qui viennent.
Une définition
J’ai trouvé une jolie définition (sur cette vidéo) de la permaculture, enfin !
La permaculture est un aménagement consciencieux du paysage qui imite les modèles trouvés dans la nature pour produire en abondance des fibres, de la nourriture, de l’énergie, afin de combler les besoins locaux.
Avenir Permaculture (chaîne YouTube)
Cette définition a le mérite d’être assez imagée, mais elle ne parle que d’agriculture, ou presque… alors que la permaculture est bien plus que ça ! Dans ma formation de 96h, nous avons beaucoup abordé notamment la permaculture humaine, sous la forme de cercles de partage, d’intelligence collective, de prise de décision par consentement…
Mais puisqu’il faut bien commencer par quelque part, je vais me contenter de parler d’agriculture, et de détailler l’exemple japonais : riz et autres céréales en hiver, agrumes, légumes.
Voici donc mon petit résumé de La révolution d’un seul brin de paille, éditions Trédaniel, 2014. Toutes les citations ci-dessous en sont extraites. L’auteur, Masanobu Fukuoka (1913-2008), est un technicien de laboratoire qui a tout plaqué pour reprendre les terrains agricoles familiaux, en limitant au maximum les travaux culturaux. J’ai beaucoup apprécié le caractère très pragmatique de ses écrits, tout en remettant du sacré dans son métier. Et aussi son ton espiègle, doué d’une grande lucidité !
Le livre n’est pas tout jeune : la version japonaise date de 1975, l’américaine de 1978… Fukuoka n’est pas un théoricien de la permaculture, nommée par deux Australiens, nous y reviendrons dans un autre article. Mais ses conseils basés sur l’expérience donnent quand même une bonne vision de ce que pourrait être la permaculture, en dehors de la Métropole !
Philosophie plus que traité d’agriculture
Si Fukuoka traite de détails liés à la riziculture, à l’arboriculture et au maraîchage, cet ouvrage ne se limite pas à l’agronomie, loin de là. La permaculture est une philosophie globale, considérant que nous ne pouvons pas isoler un aspect de la vie d’un autre. Ainsi, Fukuoka condamne le morcellement de la science par la spécialisation (pédologie, micro-biologie du sol, macro-biologie, génétique, phytopathologie, entomologie…) et pousse le lecteur à adopter une vision holistique, systémique.
Ici, je voudrais rassurer un peu : depuis les années 2000, les écoles d’ingénieurs agronomes insistent lourdement sur les approches systémiques du vivant. Ainsi, pendant la formation à la Conception en Permaculture, j’ai retrouvé des principes et l’approche systémique de mon école d’agronomie. Mais les spécialistes ont la dent dure et peuvent encore ne voir que midi à leur porte…
Natural mystic
Fukuoka marque toujours un grand respect pour la nature. Après des décennies d’observation dans ses champs, il a consolidé un système agraire qui coopère avec la nature plutôt qu’essayer de la conquérir, de la contrôler, ou plutôt contrôlant les déséquilibres que les intrants chimiques ont eux-mêmes induits.
L’ouvrage de Fukuoka pousse même jusqu’à une certaine mystique : La nature saisie par la connaissance scientifique est une nature qui a été détruite ; c’est un fantôme possédant un squelette mais pas d’âme.
L’ironie est que la science n’a servi qu’à mettre en évidence combien la connaissance humaine est petite.
Ainsi, pour l’agriculture dans son travail : sers la nature et tout ira bien. L’agriculture était un travail sacré. Quand l’humanité perdit cet idéal, l’agriculture commercial moderne surgit. Quand le paysan commença à faire pousser les récoltes pour faire de l’argent, il oublia les principes réels de l’agriculture.
Pour lui, une agriculture qui est totale nourrit toute la personne, corps et âme.
Le principe du non-agir
Fukuoka a depuis 1938 éliminé tout le labeur inutile au champ. Il n’y a plus de labour, mais tout de même pas mal de labeur au moment des moissons, non mécanisables.
J’aspirais à une manière de cultiver qui fasse plaisir, naturelle, qui aboutisse à rendre le travail plus aisé et non plus dur. « Et si on ne faisait pas ceci ? et si on ne faisait pas cela ? » – telle était ma manière de penser. Finalement j’arrivai à la conclusion qu’il n’était pas nécessaire de labourer, pas nécessaire de répandre de l’engrais, pas nécessaire de faire du compost, pas nécessaire d’utiliser de l’insecticide. Quand vous en arrivez jusqu’à ce point, il y a peu de pratiques agricoles qui sont vraiment nécessaires. La raison pour laquelle les techniques perfectionnées semblent nécessaires est que l’équilibre naturel a été tellement bouleversé par ces mêmes techniques que la terre en est devenue dépendante.
Il fait d’ailleurs remarquer que cela est vrai de façon plus générale dans la société, considérant que « médecins et médicaments deviennent nécessaires quand les gens créent un environnement malsain. » « Le médecin prend soin des malades ; la nature prend soin des bien-portants. » Le lisant en 2020, je le trouve très visionnaire… » Utiliser des produits chimiques agricoles est la manière la plus absurde de traiter des problèmes tels que ceux-là [parasites et champignons sur des pins], et ne conduira qu’à de plus graves problèmes dans l’avenir ».
Quatre principes pour cette agriculture sauvage
- Le premier principe est donc de ne pas labourer ou retourner la terre. Ces actions invasives peuvent être contre-productives en favorisant les pires herbes (oseille, chiendent). L’ensemble des actions culturales est manuel.
- Le second principe est d’éviter les fertilisants chimiques et même les composts préparés (qui pourraient booster les plantes au début mais les déséquilibrer ensuite). Pour entretenir la fertilité des champs, Fukuoka sème un engrais vert (trèfle, vesce, luzerne, des légumineuse qui fixent l’azote de l’air) et restitue toutes les pailles et issues des céréales aux champs. Il ne composte que les déchets de cuisine et les cendres pour son petit potager.
- Le troisième principe proscrit le désherbage, chimique ou même physique. Les mauvaises herbes se sont pas éradiquées, car contrôlées par l’engrais vert, par les pailles et par l’absence de sol nu dans l’année. M. Fukuoka a mis au point un itinéraire cultural particulier, en semant (en boulettes d’argiles, pour ne pas être mangées) les céréales d’hiver avant la moisson du riz et inversement, pour éviter tout sol à nu dans les parcelles céréalières. « Pendant la moisson du riz, les semences levées sont foulées par les pieds des moissonneurs mais récupèrent en un rien de temps. «
- Le quatrième principe est de ne pas dépendre de produits chimiques quels qu’ils soient, incluant même le pétrole (je vous rappelle qu’il a connu la guerre!). C’est donc aussi un mode de production biologique, sans pesticides. L’approche intelligente du contrôle des maladies et des insectes est de faire pousser des récoltes vigoureuses [variétés locales] dans un environnement sain [sans chimie dans le sol].
Des tâtonnements pour un système local parfaitement adapté
L’intérêt de cet ouvrage est surtout son aspect didactique : Fukuoka détaille ses observations, ses erreurs et ses ajustements, pour parvenir à un système agraire autonome et parfaitement adapté à son environnement. Les théoriciens de la permaculture (David Holmgren et Bill Mollisson) enseignent le « design », une analyse scrupuleuse du terrain et la mise en place a priori des éléments avant mise en culture, la moins gourmande en énergie, en eau et en matière. Pour Masanobu Fukuoka, c’était plutôt l’inverse : récupérer un système agricole et enlever petit-à-petit des éléments pour arriver à un système autonome, stable et sobre.
Avec de grands arbres en brise-vent [Acacia Morishima, enrichissant le sol en azote en profondeur], des agrumes au centre et une couverture d’engrais vert en dessous, j’ai trouvé le moyen de ne pas m’en faire et de laisser le verger se débrouiller seul.
L’adaptation à notre milieu et à nos besoins est pour moi la clé : nous aurons beau regarder des dizaines de reportages et lire maints ouvrages sur le sujet, le maître mot du formateur en permaculture aux questions des stagiaires est et restera : ÇA DÉPEND ! Il est donc crucial de conserver les variétés et races locales : « Dans le Shikoku du sud, il y avait une espèce de poulets capables de manger les vers de terre et les insectes sur les légumes sans gratter les racines ni abîmer les plantes ». Cela me rappelle la race haïtienne de cochon noir dite « cochon planche », très rustique, capable de jeûner en saison sèche et de s’engraisser en un rien de temps sous les manguiers surchargés. Race perdue à jamais par l’extermination nord-américaine par peur de fièvre porcine ou aphteuse…
Bon sens paysans VS intérêt des lobbies
Les parties III, IV et V sont plus politique : comment cultiver, comment s’alimenter, comment organiser le pays, comment enseigner… La permaculture n’est pas nécessairement une ferme en autarcie mais réfléchit bien aux enjeux sociétaux pour mettre en œuvre un monde autonome.
Masanobu Fukuoka a pendant des décennies démontré ses pratiques sur sa ferme et tenté de faire bouger les lignes agricoles au Japon. C’est sans compter sur la puissance d’un système qui préfère lancer de longues recherches pour améliorer le goût et la teneur en vitamines d’aubergines et concombres cultivés en hiver en serre plutôt que de « savoir si oui ou non manger des aubergines et des concombres en hiver est nécessaire aux êtres humains » !
Pour clore cet article, je vous laisse ruminer cette phrase :
Si nous avons une crise alimentaire elle ne sera pas due à l’insuffisance du pouvoir productif de la nature, mais à l’extravagance du désir humain.
merci madame