Ça paraît un slogan publicitaire pour un nouveau régime… Non, c’est mon constat suite à 10 jours de blocages à La Réunion, depuis le 17 novembre.
Je vous partageais il y a six semaines un avis pertinent à mes yeux sur la nécessaire revalorisation de l’alimentation pour limiter le gaspillage alimentaire. Cette prise de conscience sur la valeur de l’alimentation et de la connaissance des producteurs, elle peut se faire par l’éducation alimentaire. Certes. Mais elle se fait aujourd’hui à La Réunion par voie de conséquence de grandes difficultés d’approvisionnement de toute la population.
Nourrir sa famille : une mission quasi-quotidienne
Dans ma famille, il y avait une boulangerie que nous appréciions beaucoup, qu’on avait surnommée « la Pologne » parce qu’il y avait souvent la queue devant. Dans mon imaginaire de petite fille, il y avait donc des époques et des pays dans lesquels s’approvisionner était réellement « compliqué », pour reprendre cet adjectif à la mode. C’est aussi la situation dans l’utopie rouge de La Servante Écarlate, de Margaret Atwood, qui dépeint très bien dans son roman les rationnements consécutifs aux problèmes environnementaux et géopolitiques. L’arrivage d’oranges est une rumeur qui réjouit toutes les servantes, ainsi que les Marthas.
En ce moment, nous Réunionnais vivons cela :
J’ai trouvé de la pastèque ! du poulet !
La boulangerie des 3 épis est ouverte !
Cela change beaucoup de choses. D’une part, s’approvisionner (en carburants et en nourriture) est redevenu une priorité. Les occupations se faisant rares et le temps abondant, nombre de personnes consacrent deux ou trois heures de leur matinée pour faire la queue dans les supermarchés. D’autres privilégient les petits commerces, mais patientent dans la boucherie que le porc soit découpé ou le boudin cuit. Nous réservons nos œufs, nous communiquons les bons plans. Une page Facebook a été créée pour cela, avec aujourd’hui 41 500 membres.
La part de l’alimentation dans le budget des ménages
Je ne suis pas l’INSEE, mais elle a dû sacrément augmenter.
D’une part car les prix augmentent, puisque l’offre se tend. Parce qu’on consent aussi à acheter en épicerie, magasin bo-bio et station service.
D’autre part car on n’achète plus grand chose d’autre, les magasins étant fermés !
Les priorités de consommations sont donc très rapidement revenues à la base de la Pyramide de Maslow, avec de plus grandes difficultés pour les parents de jeunes enfants, très dépendants pour les couches et le lait.
Un retour fulgurant aux circuits courts
Mon frère éleveur vend son lait à la Plaine des Cafres jusqu’à 20h. Apportez vos bouteilles.
Qui connaît un producteur d’œufs vers le Guillaume ?
Voici le genre de message qui circule sur la page Tienbo974, avec de nombreux renvois vers des producteurs, en bio ou non, indépendants ou en coopératives. Les personnes qui étaient déjà dans un circuit court d’approvisionnement savent qu’elles pourront avoir du frais dans la semaine, les autres se renseignent et discutent enfin avec les personnes qui les nourrissent.
Les habitants et agriculteurs demandent à maintenir les marchés forains, les gilets jaunes invitent les producteurs et intermédiaires à venir vendre sur les ronds-points bloqués (à prix solidaires s’il-vous-plaît).
Retour à une culture alimentaire locale
Face aux fermetures des super- et hypermarchés, on se reporte ainsi sur les petits producteurs. On achète donc local et de saison. On limite sans doute notre consommation de viande et de produits laitiers, plus difficiles à trouver.
On se questionne sans doute aussi sur ce système agricole qui exporte du sucre et qui importe (presque) tout le reste. Cette spécialisation qui octroie seulement 4 jours de réserve d’aliments à 15 000 poulets par bâtiment.
La volay la kour, les recettes lontan, les brèdes pariétaires ou morelle reprennent du service ! On propose les mangues de sa cour… Sur les réseaux sociaux, on se partage aussi les recettes : lessive, pain au lait, bonbons banane, yaourts, etc.
Bref, l’entraide est là, et la valeur des choses est bien plus vibrante, vivante ! Comment jeter de la nourriture alors qu’on dépense plus de temps et d’argent (ou d’énergie) à la trouver ? La Réunion prend conscience de sa fragilité en termes de sécurité alimentaire, mais sans panique, en retrouvant ses racines (et ses tubercules !) et dans une belle solidarité…
Pourvu que cette prise de conscience perdure après la fin des blocages !
Je suis très touchée par ce que je viens de lire. Merci Lucile de témoigner de tout ça de l’intérieur.
Je vois dans cette situation que vous subissez un magnifique exemple pour convaincre le monde occidentale entier de commencer MAINTENANT, quand on a encore le choix, à apprendre et à être heureux·se de s’approvisionner localement, parce que le petit, le proche, le solidaire, prendre le temps et reconnaître la valeur des aliments que ce soit par le troc ou par l’argent, c’est ça qui garantira la sécurité alimentaire de l’avenir.
Héhé, j’ai notamment écrit cet article pour toi, philosophe de l’alimentation !
Il y a aussi un groupe qui s’est créé pour des jardins mis en commun, des terrains que les propriétaires veulent cultiver ou donner à cultiver !
C’est chouette quand on se focalise sur les « externalités positives » du conflit !
Juste pour élargir les horizons, voici une vidéo qui propose de recycler le pain en nouvelle farine ! Qu’en pensez-vous ? J’ai trop envie de tester chez moi !!
https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/bordeaux-il-invente-un-moyen-pour-recycler-le-pain-de-la-veille-et-en-faire-de-la-farine_2992281.html?fbclid=IwAR26Rp4QXBcmfqagPOMIG4FMgDRbt1anA9pVhJSJFa50L737VYA1sfyHEyk
Pourvu que cela dure! Malheureusement les consciences ne s’éveillent que dans les difficultés. Ensuite elles s éteignent.
Je ne défend les gms, mais il faut aussi être transparent : elles commercialisent à la réunion la production de petits agriculteurs des coopératives. La situation métropolitaine avec l ogre « grandes surfaces » ne peut être transposée à la réunion.
Pour info, à la réunion comme partout ailleurs la part de l’alimentation dans les ménages reculent aux profits de superflus. Je m étonne toujours d entendre les gens se plaindre du prix des produits agricoles à la réunion mais jamais du prix du nouvel iphone, d un verre dans le nouveau bar branché, …. et je me felicite que des personnes comme toi intervienne sur l education nutritionnelles où comment se recentrer sur les priorités.
À présent les consommateurs ont identifié des producteurs ou bazardiers près de chez eux, ils auront donc une alternative aux GMS où les fruits et légumes sont moins frais et plus chers… On vote à chaque achat !
Merci Lucile de ce témoignage « de terrain ». Content que ton oncle Roland avec qui j’ai passé 3 jours à Lyon m’ai filé le lien. Bonne année 2019!
Merci Xavier, au plaisir de connaître ta nouvelle vie 🙂 !