Cultures alimentaires et aliments ultratransformés

Aujourd’hui, je voudrais vous parler Transformation des aliments et transformation des cultures alimentaires, suite à une conférence à laquelle j’ai eu la chance d’assister et aussi à la faveur d’émissions de Radio et de Télé dénonçant de plus en plus les aliments très, trop transformés par l’industrie agro-alimentaire.

« On est ce que l’on mange et on mange ce qu’on est » …
donc transformer les aliments nous transforme certainement !

Petite histoire de la transformation des aliments

Les aliments frais sont les plus nutritifs, notamment concernant les vitamines et les anti-oxydants. Mais ils sont périssables et pour certains non comestibles en l’état. D’où des habitudes de transformation des aliments, millénaires et universels. Il s’agit de la cuisine, des saumures, salaisons, sirops, confitures, etc…

Richard Wrangham, anthropologue, considère que partout où l’on regarde, la cuisine maison est la norme, même pour la transformation. (Pré)historiquement, la cuisson de la viande permet d’économiser de l’énergie (moins de mastication et de digestion). Cette grande invention humaine, la cuisine a petit-à-petit transformé notre physiologie (dents, système digestif et augmentation de la taille du cerveau) et la société (un nucleus familial autour du foyer, c’est-à-dire le feu). Selon lui, en outre, la cuisine relierait le travail de l’homme (se procure les aliments) et celui de la femme (les cuisine).

Ainsi la transformation des aliments débute par la cuisson par le feu, puis mise en place de la boucherie, du fumage de la viande, etc. Depuis le début du XXe siècle, la transformation est de plus en plus au cœur de la matière (à l’échelle moléculaire). Nous sommes entrés dans l’Anthropocène depuis la révolution industrielle : dorénavant, le travail de l’humain a des conséquences sur la nature (donc sur la santé humaine, la santé des animaux et sur l’environnement).

Etats-Unis culture alimentaire
Une famille de Etats-Unis pose avec une semaine de nourriture – Hungry planet, Peter Menzel

La transformation des aliments influe sur notre santé

Depuis 2010, Jean-Claude Moubarac et ses collègues développent la thèse que la transformation est certes essentielle à la vie mais que récemment, l’ultratransformé a un impact négatif sur la santé, la culture alimentaire et l’environnement. Ils se basent sur la Classification Nova, établie sur le degré et la fonction de la transformation alimentaire (après le lieu de production et avant la cuisine). Depuis 2010, cette classification a été utilisée dans environ 60 études. Le guide alimentaire brésilien la reprend pour fonder ses recommandations.

aliments bruts cuisinés
Une famille équatorienne pose avec une semaine de nourriture – Hungry Planet, Peter Menzel

Cette classification qualifie les aliments qu’on achète en magasin, donc surtout les produits de consommation :

  1. Aliments frais ou peu transformés : fruits, légumes, légumineuses, pâtes, farine, noix… Ce sont des aliments frais, séchés, congelés ou fermentés sans l’ajout de gras, de sucre ni de sel. La transformation a pour seuls buts de préserver l’aliment et de prolonger sa durée de vie ou faciliter son utilisation dans la cuisine.

  2. Ingrédients culinaires transformés : sucre, beurre, sel, huile… Ce sont des aliments qui rentrent dans la compositions des plats cuisinés à la maison.

  3. Aliments transformés : viandes séchées et salées, pains, fromages, conserves… Ces trois premières catégories regroupent le patrimoine culinaire ancestral. Ces aliments entrent dans la préparation culinaire de plats. On les consomme généralement à des heures régulières, à table et souvent en compagnie.

  4. Produits ultra-transformés : barres Kinder, biscuits industrialisés comme les Oreo, céréales Kellogs, Vache qui rit, Monster Munch, Coca-Cola, bonbons Haribo, crèmes glacées, CapriSonne… Ce sont avant tout des produits, donc caractérisées par une marque, couleur, slogan, personnalité. Leur liste d’ingrédients est très longue et en comporte certains sans usage alimentaire. Ils sont issus d’une formulation industrielle à partir de substances extraites ou dérivées des aliments et additifs (ex. dérivés du lait, gluten, émulsifiants, monoglycérides…) qui ont des usages cosmétiques et texturants. Ils sont conçus de manière à être immédiatement consommés, sur le pouce et souvent seul. Ces aliments ont donc tendance à remplacer la cuisine (qui utilise des aliments frais et sains) et influent sur les nutriments apportés.

Les repas et snacks d'une famille de Grande-Bretagne
Une famille britannique pose avec une semaine de nourriture – Hungry Planet, Peter Menzel

Les produits ultra-transformés : du sucre, du gras, du plastique et du marketing !

Les produits ultra-transformés font l’objet d’une grande publicité et sont hyper-attrayants et peu chers. Ils vendent la commodité, le désir, la « santé », le statut, plus que les calories en tout cas. Ce sont des produits façonnés pour une croissance infinie, au-delà des besoins nutritionnels. Les ingrédients entrant dans leur composition sont standardisés et peu chers (sucre blanc, huile de palme…). Ils contient également des ingrédients non neutres sur la santé ou l’activité des enfants (car des colorants alimentaires ou du glutamate de sodium).

Ces produits sont hyper savoureux (car riches en sel, gras et sucre) et faciles à transporter, conserver… Ils peuvent être consommés devant la télé ou l’ordinateur et comptent beaucoup de calories liquides et sucrées, qui n’ont pas d’effet sur la satiété. Face à ces produits ultratransformés, l’individu n’a plus le contrôle de ce qu’il consomme, d’un point de vue ingrédients et nutriments.

Leur impact sur la santé est documenté dans beaucoup de pays . En Europe, on a démontré leur lien statistique avec la prévalence de l’obésité (évolution 1991-2010 en Europe, Monteiro et al. 2016).

Un phénomène mondial

Nestlé, Coca-Cola, Unilever, Pepsi, Danone, Mars, Kraft, Mondelez…
10 entreprises produisent la très grande majorité des produits ultra-transformés. C’est un cartel organisé et puissant (lobbies). Il y a donc une difficulté à transformer cet état de fait à l’échelle de la société.

On est donc passés d’un patron alimentaire basé sur la cuisine et des aliments peu transformés à une importance croissante des produits ultratransformés, vendus partout dans le monde.

Nourriture brute, cuisinée, fruits et légumes
Une famille Bouthanaise pose avec une semaine de nourriture – Hungry Planet, Peter Menzel

Toutefois, cette importance varie entre les pays, même développés : ils apportent 69 % des calories quotidiennes aux Etats-Unis contre 48 % au Canada et moins pour la France ou l’Italie, ou la cuisine reste importante par rapport à l’Allemagne ou le Royaume-Uni.

Des cultures alimentaires plus ou moins ancestrales

Une comparaison de la culture alimentaire des États-Unis, créateurs de l’ultratransformé, à celle de la France, défenseure du repas gastronomique, peut être intéressante. C’est ainsi que ces deux pays ont des niveaux de revenus similaires, mais une consommation de produits ultra-transformés bien inégaux.

États-Unis

France

Consommation de produits ultra-transformés

308 kg/an (ce sont les premiers au monde, le Canada étant second).

125 kg/an

Vision de l’alimentation

Santé, nutrition, responsabilité individuelle voire culpabilité !

Acte privé, intime, personnel. Influence de la recherche médicale et nutritionnelle.

Identité, origine, fraicheur, goût, naturel, plaisir. Sociabilité, acte social.

Habitudes très culturelles (nutrition ancienne, sans toujours la  comprendre).

Durée des repas

1,18 heure par jour

2,22 heure par jour

Perception de l’alimentation

Les nord-américains pensent que la nourriture est meilleure à la santé que dans le passé (apport de la technologie).

Les français pensent que la nourriture est moins bonne que dans le passé (industrialisation).

Enjeux alimentaires pour la population

Problème nutritionnel, manque de responsabilité des consommateurs à faire les bons choix en s’informant.

Problèmes de qualité des aliments plus importante.

Source : Claude Fischler et Estelle Masson.

Bref, on aperçoit avec ce tableau comparatif de notre chance d’être encore ancrés dans la tradition européenne et française : le repas est un acte social, conscient et fait place au plaisir, avec des aliments peu transformés, mais cuisinés.

cuisine culture alimentaire française
Cocorico ! Une famille française pose avec un mois de nourriture. Est-ce représentatif ? Les Le Moine habitent Montreuil… – Peter Menzel, in « Hungry Planet: What the World Eats »

Quelles actions mettre en place ?

Suite à ces constats, plusieurs pays veulent insister sur la responsabilité de l’acte d’achat des mangeurs (en préservant aussi leur pouvoir d’achat !), mais également réguler la publicité sur les aliments ultratransformés, surtout auprès des enfants.

Pour exemple, le programme alimentaire brésilien encourage à acheter dans les magasins où les aliments sont variés et peu transformés. Il fixe une règle d’or : « Préférez toujours les aliments frais et peu transformés aux produits ultra-transformés ». Ainsi, c’est tout le système alimentaire (consommation, filières) qu’on réoriente vers plus d’équité, moins de profit des grandes entreprises et plus de santé.

 

Cet article se base sur la présentation de Jean-Claude Moubarac, Professeur au département de nutrition (Transnut) à l’Université de Montréal, lors des Rencontres de la Fondation Louis Bonduelle à Montréal en 2017.

Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture du récent livre du Dr. Anthony Fardet sur les aliments ultra-transformés.

Feuilletez aussi dans votre bibliothèque le livre Hungry planet, dont j’ai tiré quelques illustrations de cet article.

Enfin, ne ratez pas ma prochaine chronique qui s’intéresse aux effets environnementaux de ces aliments ! A la semaine prochaine !

2 réflexions sur « Cultures alimentaires et aliments ultratransformés »

Offrir un commentaire